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Restaurer les films de Chantal Akerman #1

Préparer une restauration​

La dernière ligne droite en préparation de la rétrospective Chantal Akerman.

Restaurer les films de Chantal Akerman

Préparer une restauration​

Demain on déménage

La restauration du film de Chantal Akerman, Demain on déménage par la Cinémathèque royale de Belgique a eu lieu alors que l’institution était à la préparation et l’organisation de la rétrospective qu’elle lui dédie de mars à juillet 2024. C’est l’occasion de faire le point et d’examiner plus de dix années écoulées à travailler sur les restaurations de ses films. Arianna Turci et Bruno Mestdagh, responsables des collections film, expliquent le travail préparatoire qui a été fait pour la restauration des films de Chantal Akerman.

Demain on déménage, 2004  Version restaurée par CINEMATEK

Le but de restaurer les films de Chantal Akerman est de permettre au public d’aujourd’hui de voir ses films dans les meilleures conditions possibles. Pour cela, un travail important sur l’image et sur le son des films est fait dans le labo de restauration de la Cinémathèque. À l’époque, les films de Chantal Akerman ont été tournés sur pellicule et sont sortis en salle sur support pellicule. Aujourd’hui, la majorité des salles de cinéma étant équipée avec de projecteurs numériques, il y a plus que très peu de cinémas qui sont encore équipés de projecteurs analogiques permettant de projeter des pellicules. Les habitudes de regarder des films ont également changé, puisqu’on regarde beaucoup plus de films chez soi sur petit écran. Afin que le public puisse regarder les films de Chantal Akerman aujourd’hui, il faut donc une version numérique de ses films.

Pour obtenir un beau résultat, la numérisation des films ne suffit pas, il est nécessaire de les restaurer. Un film de Chantal Akerman peut avoir été projeté des centaines de fois au cinéma depuis sa sortie et la copie en a souffert. À l’image originale se sont rajoutés des rayures, des poussières et des défauts qui n’étaient pas là lorsque la copie a été projetée pour la première fois. C’est par le processus de restauration numérique qu’on cherche à enlever ces traces laissées sur le film à travers le temps. Toutefois, avant de pouvoir entamer la restauration proprement dite, il faut un important travail de préparation.

Inspection pellicule de Saute ma ville, 1968

Les premières étapes de la restauration d’un film sont de régler les droits du film et de trouver les éléments physiques originaux, c’est-à-dire les pellicules qui serviront de base pour la version en restauration numérique. L’objectif est de commencer la restauration avec le meilleur matériel possible pour obtenir la meilleure qualité de l’image. Mais il faut aussi avoir réglé les droits du film pour être sûr que le résultat de la restauration peut être présentée à nouveau au public. Toutefois, même pour des films relativement récents, comme Demain on déménage qui est sorti en 2004, la recherche du matériel et l’obtention des droits ne sont pas toujours évidentes.

La recherche du matériel commence en principe avec la recherche du négatif original du film, car c’est le meilleur élément de départ. Pour Demain on déménage, CINEMATEK ne conservait pas le négatif original dans ses collections. Le film est une coproduction franco-belge, comme d’autres films de Chantal Akerman, et le négatif était conservé dans un laboratoire français qui en avait tiré des copies de distribution à l’époque. À la différence des labos en Belgique, les labos français ont généralement voulu garder les matériaux des films sur lesquels ils avaient travaillé chez eux. En revanche, en Belgique, il y avait une bonne entente entre CINEMATEK et les labos qui, après la production d’un film, déposaient les négatifs et autres matériaux à conserver auprès de CINEMATEK. Ainsi, CINEMATEK a donc toujours conservé, par exemple, le négatif de Toute une nuit (1982), mais pas de Demain on déménage. Dans ce cas, il faut introduire une demande au laboratoire afin de récupérer les matériaux et pouvoir les faire livrer à CINEMATEK pour la restauration.

Pour comprendre l’histoire de la conservation de l’œuvre de Chantal Akerman, c’est aussi important de raconter le travail qui a été fait lors de la rétrospective de ses films à CINEMATEK en 1996. Cette année-là, CINEMATEK présente une rétrospective intégrale Chantal Akerman à l’occasion de la sortie d’Un Divan à New York. Pour organiser cette rétrospective, un considérable travail de recherche a été nécessaire pour réunir l’ensemble des films et ce processus reste crucial aujourd'hui encore. À l’époque, Gabrielle Claes, alors conservatrice à CINEMATEK, a pris l’initiative de créer de nouvelles copies de conservation à partir des films réunis pour la rétrospective. Ainsi, la restauration d’un film tel que La Paresse (1986) en 2019 a pu être réalisée à partir de ce matériel créé en 1996.

Le travail d’obtention des droits est aussi exigeant que celui de la recherche des matériaux.

Les droits de certains films appartenaient à Paradise Films, la société de production de Chantal Akerman et de Marilyn Watelet et cette dernière a cédé tous les films Paradise à la Fondation Chantal Akerman en 2017. Pour d'autres titres, les droits étaient dispersés et partagés entre différents coproducteurs. L'une des missions de la Fondation étant de regrouper les films en son sein, CINEMATEK et la Fondation ont œuvré à ce rassemblement et au rachat des droits auprès des coproducteurs, ou, quand ce n'était pas possible, à des négociations pour assurer les restaurations.

Au début des années 2010, afin de préserver et de pérenniser son œuvre, Chantal Akerman et CINEMATEK ont commencé à travailler plus intensivement afin de rassembler les matériaux de ses films. À cette époque, Nicola Mazzanti était conservateur de CINEMATEK et c’est sous sa supervision que CINEMATEK a développé son labo de restauration et a ainsi commencé à faire les premières restaurations numériques. Après le décès de Chantal Akerman en 2015, ce travail s’est poursuivi en étroite collaboration avec la Fondation Chantal Akerman, fondée par sa sœur Sylviane.

Aujourd’hui la Fondation Chantal Akerman et CINEMATEK continuent à collaborer pour mettre en valeur l’œuvre de Chantal Akerman. C’est dans ce cadre que CINEMATEK a restauré Demain on déménage. Le processus de restauration même sera le sujet du deuxième article de cette série sur la restauration des films de Chantal Akerman.

La première partie de la rétrospective Chantal Akerman a lieu du 15 mars au 31 mai à CINEMATEK et l’exposition « Chantal Akerman : Travelling » a lieu du 15 mars au 21 juillet à Bozar. La restauration de Demain on déménage sera présentée lors de la seconde partie de la rétrospective qui commencera en juin 2024.

Pour en savoir plus sur le travail de restauration :
Conversation : « CINEMATEK and the Restauration of Akerman’s films », 24.04, 19:00
Bruno Mestdagh (responsable collection film numérique), Céline Brouwez (responsable de la valorisation de l’œuvre de Chantal Akerman, au sein de CINEMATEK) et Tomas Leyers (conservateur de CINEMATEK) présenteront le travail de restauration des films de Chantal Akerman réalisé par CINEMATEK.

La conversation sera suivie par la projection de la version restaurée de Les Rendez-vous d’Anna à 20:30.


La restauration de Demain on déménage est soutenue et financée par Belspo, le Centre du Cinéma et de l’Audiovisuel de la Fédération Wallonie-Bruxelles, l’Union européenne – NextGeneration EU et la Loterie nationale et ses joueurs.



Akerman 2024